Tout au long de la période laténienne, l’ « Art celtique » (expression plastique des Celtes historiques de culture laténienne) s’est développé sous de multiples facettes. Il a évolué au gré des modes culturelles de ses débuts au second quart du Ve siècle av. J.-C. (essor des contacts transalpins) à la fin du Ier siècle av. J.-C. (fin de l’indépendance celtique ou introduction du christianisme).
L’ « art hallstattien » (VIIIe au VIe siècles av. J.-C.) qui le précède déploie surtout un art géométrique simple sur les céramiques peintes de certaines régions (voir Alb-Hegau, Bylany, Vix…), mais aussi quelques thèmes figurés peu fréquents (cheval, personnages stylisés, oiseaux aquatiques…). A ce jour, seuls le Sud de l’Allemagne et l’aire de la culture de Golasecca (partie nord-occidentale de la Transpadane), semblent avoir livré un répertoire iconographique plus complexe, avec des ébauches de scènes (comme les poteries de Schirnordf, la klinè de Hochdorf, la situle de Sesto Calende…). La statuaire témoigne d’influences méditerranéennes ponctuelles : voir à ce titre la sculpture de Hirschlanden.
Nonobstant le contraste apparent entre l’art hallstattien et l’art laténien, il ne semble pas y avoir de rupture entre ces « deux » formes d’expression plastique successives. Bien au contraire, on discerne de « nombreux éléments de continuité sémantique et conceptuelle » ; c’est-à-dire qu’il semble y avoir une logique identique dans le « vocabulaire », le « langage » créé, et un fonds culturel et idéologique commun.
Echantillons miniatures en cours de réalisation avec différents motifs empruntés à l’art celtique ancien.
Pour connaître l’évolution de l’art laténien et les origines de ces décors, venez nous rencontrer !
Peinture à la colle de peau et peinture au lait sur pin, ocre rouge, ocre jaune, chaux, noir de fumée, minium de plomb, bleu égyptien, lapis lazuli (le cyanos de Pline l’Ancien).
Réalisation Vogiantios, Août 2012.
La période initiale de l’art laténien, la phase de formation de l’art celtique ancien, est connue dans le jargon archéologique sous les noms de « Premier style », de « Style végétal » ou« Style ancien ». Cet art celtique archaïque se développe de La Tène A au début de La Tène B1, soit en terme de chronologie absolue du deuxième tiers du Ve siècle av. J.-C. au tout début du IVe siècle av. J.-C.. Il est particulièrement bien représenté en Allemagne. Il déploie un langage très varié, où s’affrontent les figures, les motifs végétaux et les motifs orientaux (vraisemblablement issus de l’art classique grec ou des cultures septentrionales d’Italie, comme les Etrusques) : lions, sphinx, griffons, fleurs de lotus, palmettes, double feuille de gui, arbre de vie, serpents aux têtes de rapaces ou de quadrupèdes, maître des animaux, masques de satyres, de silènes, tête de bélier, visages humains, esses… Cet art offre des possibilités de lectures multiples, souvent très ingénieuses : imbrications, mises en abîme, pluralité des sens de lecture… C’est un art géométrique savant, faisant appel à des constructions complexes tracées au compas dont l’usage est alors généralisé, qui consiste à recréer le modèle ou la forme naturelle à partir d’un répertoire limité de signes chargés eux-mêmes de significations. Les objets sur lesquels le Style végétal s’est éployé – surtout des artefacts métalliques (éléments de harnachement, chars, fourreaux d’épées, cruches à vin, parures, garnitures, etc.), mais aussi des céramiques et des sculptures en pierre – nous rendent compte d’une unité et d’une stabilité iconographique de l’art celtique ancien. Les décors traduisent des concepts religieux bien structurés.
Quelques provenances fameuses et objets célèbres : Glauberg, Weiskirchen, Drouzkovice, Stupava, Nova Hut, Ostheim, Eigenbilzen, Schwarzenbach, Parsberg, Reinheim, Somme-Bionne, Hochscheid, Rodenbach, Matzhausen, Pfalzfeld, Hochdorf…
Planche peinte d’après l’ornementation gravée (avec notamment svastika dextrogyre) sur l’une des deux faces du fer de lance trouvé dans la Broye à Joressant, près du site de La Tène, en Suisse. Datation probable au début du IIIe siècle av. J.-C. (Seconde moitié de La Tène B2).
Peinture à la graisse (sous une averse et avec des pinceaux maison en poils de chèvre…), ocre rouge sur pin, 63 x 34 cm.
Réalisation Vogiantios, Juin 2012.
De la fin de La Tène B1 au début de La Tène B2, donc du début du IVe siècle av. J.-C. au début du IIIe siècle av. J.-C., l’art celtique ancien connait sa période d’épanouissement. Nous le nommons « Style de Waldalgesheim », d’après la sépulture « princière » éponyme retrouvée fortuitement en Rhénanie-Palatinat (Allemagne) au XIXe siècle, ou encore « Style végétal continu ». Il s’inscrit dans la continuité du Style végétal, comme nous le montrent ses principales caractéristiques. Les motifs sont cette fois plus stylisés, plus symboliques. Ils sont formés en partie des masques à la feuille de gui, de l’esse et du triscèle dans des rinceaux végétaux, dans un enchaînement continu des motifs. Avec le Style de Waldalgesheim, on assiste à une fusion emblématique de l’animal, de l’humain et du végétal, ce qui s’est traduit par la notion de « métamorphose plastique » (terme inventé par P.-M. Duval et V. Kruta). Si l’essentiel du répertoire est « végétal », on n’assiste pas pour autant à une disparition totale des représentations humaines et animales. La production de cet art est liée aux besoins croissants de la classe militaire : ce sont les armes (notamment les casques…) et les pièces du fourniment (éléments de harnachement, phalères, pièces de chars…) qui sont les plus fréquemment ornées. Cet art semble être d’origine celto-italique ; son foyer est à mettre en relation avec l’invasion du Nord de l’Italie au IVe siècle av. J.-C. par les Sénons, Boïens ou Lingons, des peuples celtes ayant conservé des liens avec leurs homonymes en Europe intérieure (les Boïens en Europe centrale, les Sénons près de l’Yonne, etc.). Les poteries peintes du faciès champenois se développent aussi considérablement. La Suisse occupe alors une position centrale, faisant office de pont entre Celtes transalpins et cisalpins. Ce style connait un déclin progressif à partir du second tiers du IVe siècle av. J.-C., quand les éléments celtes se fondent peu à peu dans les principes gréco-étrusques et que les hostilités cessent progressivement (« perte » de pouvoir des Celtes de Cisalpine)...
Quelques provenances fameuses et objets célèbres : Moscano di Fabriano, Filottrano, Saint-Jean-Trolimon, Amfreville-sous-les-Monts, Agris, Canosa, Auvers-sur-Oise, Oploty, Plessis-Gassot, Berne, Stettlen-Detsswil, Münsingen, Bern, Gorge-Meillet, Basse Yutz, Waldalgesheim, Dürnnberg, Cizkovice, Brunn am Steinfeld, Caurel, Prunay, Mezek, Chouilly…
Coffret peint avec le rinceau végétal du fragment de fourreau de Sanzeno (Italie).
Composition selon le Style des épées hongroises, La Tène C1.
Peinture à la caséine et lasure à la bière (pinceaux en poils de blaireau, plumes d’oies), ocre rouge et ocre jaune sur pin.
Réalisation Vogiantios, Juillet 2011.
Photographie de la face avers de l’entrée du fourreau « aux trois chevaux » (MAR–LT-4) du site de La Tène (Suisse) : deux petits chevaux surmontés d’un cervidé, au repoussé, encadrés par des volutes.
Estimation de datation : La Tène C1b – La Tène C2a.
Photographie G. Reich.
Toujours rattaché à la période d’épanouissement de l’art celtique ancien, le « Style plastique » correspond à l’ère baroque de l’art gaulois. Connu également sous le nom de « Styles des épées » (au pluriel, car ont été définis le « Style des épées suisses » et le « Style des épées hongroises »), il a été identifié de La Tène B2 à La Tène C1, soit tout au long du IIIe siècle av. J.-C.. Ce développement correspond à l’apogée de l’art laténien, qui s’affranchit alors des contraintes méditerranéennes. Il déploie là un langage figuratif indépendant, propre, beaucoup plus libre. Tout est allusions, suggestions ; représentations expressives et fugitives, symboliques. On mêle cette fois végétal, animal, figuratif et abstrait. Les représentations de monstres anthropomorphes ou zoomorphes en trois dimensions (lyres, dragons, griffons… surtout sur les fourreaux d’épées) sont fréquentes. Les motifs, autrefois créés essentiellement sur des supports plats, sont de plus en plus souvent élaborés en relief. Le centre de gravité du monde celtique se déplace vers l’Est, jusque dans la cuvette occidentale des Karpates (expansion danubienne, balkanique). La Bohême et la Moravie jouent alors un rôle nouveau, au même titre que l’Autriche, la Hongrie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Roumanie… C’est la raison pour laquelle, dans la partie ouest du monde celtique, on assiste à l’infiltration de groupes plus ou moins importants d’origine centre-orientale, sur des territoires conservant leur importance (Champagne, Suisse, Allemagne méridionale…) voire même en contexte insulaire. C’est l’époque de l’extension maximale du monde celtique, favorisée par les déplacements importants de groupes de guerriers. Ce n’est donc pas un hasard si le Style plastique est avant tout un art associé au monde martial et qu’il est surtout présent sur des armes. Et ce n’est pas non plus un hasard si nous avons choisi de nous intéresser à cette période charnière qu’est le III siècle av. J.-C., avec notre groupe Cerda - Artisanat.
Planche peinte avec le motif d’une tête couronnée de la double feuille de gui avec une palmette sous le menton et de deux protomés d’oiseaux, ici représenté deux fois, de l’entrée du fourreau d’épée de Bölcske-Madocsahegy 1 (Hongrie), ceint par un rinceau inspiré d’un fragment de fourreau de Sanzeno (Italie).
Composition selon le Style des épées hongroises, La Tène C1.
Peinture à la caséine, ocre rouge, ocre jaune et terre verte d’Italie sur pin, 95 x 30 cm.
Réalisation Vogiantios / Acuadulla, Novembre 2011.
Moins bien connu des protohistoriens (car peu étudié et plus discret !), l’art celtique récent, parfois nommé « Art des oppida » (en référence aux grandes agglomérations fortifiées qui fleurissent dans le monde celtique à la même époque), s’étend du IIe siècle av. J.-C. au Ier siècle av. J.-C., donc de La Tène C2 à La Tène D2. Ce style est plus effacé par rapport à l’art celtique ancien. Composé de motifs plus simples, doté de moins de fioritures et inscrit sur un mobilier moins prestigieux. L’appauvrissement des artefacts de grande taille, sa présence sur de menus objets, n’est sans doute pas anodine dans la méconnaissance de cet art. Cette période est surtout celle de l’essor de l’art monétaire, très original, et du développement de la sculpture. Statuettes en bronze, garnitures de seaux, animaux en bois, poteries peintes de motifs zoomorphes… voilà l’essentiel de cet art. Les images sont intégrées à un nouveau contenu et intègrent leur propre système de conventions. On voit de plus en plus de représentations humaines avec attributs (enseignes militaires, carnyx, armes, animaux…), de sangliers, de chevaux, de serpents à têtes de béliers… quoique subsistent encore des signes traditionnels et des monstres caractéristiques : palmettes, esses, triscèles, etc.
Quelques provenances fameuses et objets célèbres : Aulnat, Feurs, Roanne, Goine, Gundestrup, Msecke Zehrovice, Fellbach-Schmiden…
Peinture hypothétique d’une statue sculptée dans du bois massif, d’après la découverte d’Yverdon-les-Bains (Suisse), datée de la première moitié du Ier siècle av. J.-C. (La Tène D1b – La Tène D2a).
Sculpture Arios, peinture Vogiantios, Juin-Juillet 2012.
Avec la perte de l’Indépendance gauloise, l’art celtique continental, authentique et indépendant, s’éteint. De la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. au début du Ve siècle ap. J.-C. se développe en revanche un art insulaire original, fait de survivances et de spécificités propres. Mais ceci est une autre histoire…
Quelques pistes bibliographiques :
Art celtique en Gaule 1983 : L’Art celtique en Gaule, catalogue de l’exposition Marseille-Paris-Bordeaux-Dijon 1983-1984, Réunion des Musées nationaux, Paris, 1983.
DUVAL 1989 :DUVAL A., L’Art celtique de la Gaule au Musée des antiquités nationales, Réunion des Musées nationaux, Paris 1989.
DUVAL 1964 :DUVAL P.-M., L’Art des Celtes et la Gaule, Art de France, IV, Paris, 1964, pp. 5-43.
DUVAL 1977 : DUVAL P.-M., La place des images monétaires dans l’art laténien, Beiheft zur Bericht der römisch-germanischen Kommission 59, pp. 78-85.
DUVAL, KRUTA 1982 :DUVAL P.-M., KRUTA V. (dir.), L’Art celtique de la période d’expansion, IVe et IIIe s. avant notre ère, Hautes études du monde gréco-romain 13, Droz, Genève-Paris, 1982.
Eastern Celtic Art 1974 : A Keleti Kelta Müvészet, Eastern Celtic Art, István Király Múzeum, Székesfehérvár, 1974.
GINOUX 2007 :GINOUX N., Le thème symbolique de "la paire de dragons" sur les fourreaux celtiques (IVe-IIe siècles avant J.-C.) : étude iconographique et typologie, BAR International Series, 1702, Oxford, 2007, 268 p.
GUILLAUMET 1998 : GUILLAUMET J.-P., L'art des épées celtiques de la Picardie aux Carpates, dans L'Archéologue, Archéologie Nouvelle, n°36, juin-juillet 1998, dossier Artistes et Artisans celtiques, pp. 7-9.
JACOBSTHAL 1944 : JACOBSTHAL P., Early Celtic Art, University Press, Oxford, 1944 (réimpression 1969, 2 vol.).
KRUTA 2000 :KRUTA V., Les Celtes – Histoire et dictionnaire des origines à la romanisation et au christianisme, Bouquins – Robert Laffont, Paris, 2000, 1005 p.
KRUTA 2004 :KRUTA V., Les Celtes, Éditions du Chêne – Hachette, Luçon, 2004, 240 p.
KRUTA 2009 :KRUTA V., Quelques fourreaux décorés du site de La Tène et leur place dans l'art celtique, in HONEGGER M., RAMSEYER D., KAENEL G., ARNOLD B., KAESER M.-A. (dir.), Le site de La Tène : bilan des connaissances - état de la question, Actes de la Table ronde internationale de Neuchâtel, 1-3 novembre 2007, Archéologie neuchâteloise, 43, Neuchâtel, Office et musée cantonal d'archéologie, 2009, pp. 227-234.
LEJARS 2003 : LEJARS T., Les fourreaux d'épée laténiens. Supports et ornementations, in VITALI D. (dir.), L'immagine tra mondo celtico e mondo etrusco-italico, Aspetti della cultura figurativa nell'antichità, Alma Mater Studiorum, Università di Bologna, Dipartimento du Archeologia, Gedit Edizioni, Firenze, 2003, pp. 9-70.
NAVARRO 1972 : NAVARRO J. M. De, The finds from the site of La Tène, Vol. 1, Scabbards and the swords found in them, London, 1972, 354 p.
NAVARRO 1972 : DE NAVARRO J. M. De, The finds from the site of La Tène, Vol. 1I, Scabbards and the swords found in them, London, 1972, 100 p.
OLIVIER 2010 : OLIVIER L., L’art gaulois, Gisserot, 2010, 64 p.
RAPIN 1996 :RAPIN A., Les armes des Celtes, des messages enfouis sous la rouille, M.E.F.R.A., 108, 1996-2, pp. 505-522.
RAPIN et alii 1992 : RAPIN A., SZABO M., VITALI D., Monte Bibele, Litér, Rezi, Pişcolt. Contributions à l’origine du Style des épées hongroises, Communicationes archaeologicae hungariae, 1992, pp. 23-54.
SZABO, PETRES 1992 :SZABO M., PETRES E. F., Decorated Weapons of the La Tène Iron Age in the Carpathian Basin, Inventaria Praehistorica Hungariae, V, Magyar Nemzeti, Budapest, 1992, 259 p.
SZABO 1996 : SZABO M., L’expansion celte et l’armement décoré, Mélanges de l’Ecole française de Rome, Antiquité T. 108, n°2, 1996, pp. 523-553.
SZABO 1998 :SZABO M., La formation de l'art celtique : l'exemple des fourreaux d'épée, dans L'Archéologue, Archéologie Nouvelle, n°36, juin-juillet 1998, dossier Artistes et artisans celtiques, pp. 4-6.
SZABO 2009 :SZABO M., Réflexions sur les styles des épées, in HONEGGER M., RAMSEYER D., KAENEL G., ARNOLD B., KAESER M.-A. (dir.), Le site de La Tène : bilan des connaissances - état de la question, Actes de la Table ronde internationale de Neuchâtel, 1-3 novembre 2007, Archéologie neuchâteloise, 43, Neuchâtel, Office et musée cantonal d'archéologie, 2009, pp. 235-250.
Pour recopier cet article, merci de nous contacter : cerda.artisanat@gmail.com
De même, en cas de remarque, réclamation ou tout autre commentaire ; dont nous prendrons naturellement compte. Ce court article a vocation à vulgariser et à transmettre avant toute chose, ne l’oublions pas.