"Les armes défensives sont fonctionnelles mais rehaussent encore plus l'apparat du chef. Les armures sont certainement les plus prestigieuses. Celles des Insubres sont signalées en -225 (Dion Cassius, Histoire romaine, CLXV). Vers -222 celle de Viridomar est ornée d'or, d'argent et de broderies (Plutarque, Vies Parallèles., Marcellus, VII) et en 218, Hannibal en connaît le prestige (Polybe, Histoires, III, LXII)."
Alain Daubigney, Mutilations, sacrifices, guerre et territorialité celtiques, in MANDY Bernard, DE SAULCE Anne (dir.), Les marges de l'Armorique à l'Âge du Fer, Archéologie et histoire : culture matérielle et sources écrites, Actes du XXIIIe colloque de l'A.F.E.A.F., Musée Dobrée, Nantes, 13-16 mai 1999, Revue archéologique de l'Ouest, Supplément n°10, 2003, pp. 309-354. (Citation p. 321.)
Le terme "armure" est bien vague. Pour la période laténienne, il recouvre principalement trois hypothèses. La cotte de mailles, parfois nommée lorica hamata, invention celtique du IVe ou du IIIe s. av. J.-C., d'après Varron, qui consiste en un maillage d'anneaux en alliage ferreux (4 en 1 ou 6 en 1, anneaux ronds ou plats, aboutés ou rivetés...), sur laquelle nous reviendrons. La cuirasse qui, comme l'étymologie semble l'indiquer, serait en cuir (coriaceus, corium), bouilli ou souple, sous forme de plastron préparé ou de peau (en fait, certains disent que "cuirasse" serait un dérivé de "coriace"... nous n'avons pas réellement d'avis "linguiste", mais strictement archéologique). La protection pectorale en lin de type linothorax, succession de couches de tissu de lin encollées (à la différence du gambison ou jaque, sans colle).
S'il est concevable d'orner d'or et d'argent une cotte de mailles, il semble moins approprié de la décorer de broderies. Nous écartons donc cette possibilité.
Si l'on se penche sur les véritables arguments, en dehors de nos clichés quasi séculaires alimentés par l'imagerie populaire hollywoodienne, entre autres, on devient réfractaire à la cuirasse en cuir. D'un point de vue militaire comme archéologique, la protection en cuir d'un seul tenant et composée uniquement d'une plaque de cuir ne semble pas convaincante. Il existe bien les manica, ces protections de gladiature romaine, cantonnées au bras et rehaussées de métal. Mais rien qui ne soit d'un seul tenant et à même de protéger un tronc complet. Outre les spéculations étymologiques sur la préhistoire (sans preuve réelle !), aucun argument archéologique ne vient - à notre connaissance - nourrir le débat avant les cuirasses moulées de la Renaissance (lire par exemple Leather and the warrior). L'exception est bien entendu le subarmalis ou thoracomachus, cette sous-couche en cuir souple placée sous la cotte de mailles. A la rigueur pourrait-on imaginer des cuirasses en cuir cru très épais... tout en sachant que tout cela serait sans aucun fondement archéologique. A éviter, faute de source sérieuse.
En revanche, le linothorax est bien connu (quoique peu par l'archéologie) dans l'Antiquité, particulièrement bien décrit, reconnu par une pléthore de fragments littéraires ou de sources iconographiques. Il a fait l'objet de différentes études. Il semble de plus en plus que les cuirasses celtiques aient été réalisées en tissus encollés également (voir par exemple les protections corporelles sur les bustes des statues de Roquepertuse (France) ou Glauberg (Allemagne)... en somme une statuaire riche dès le Hallstatt final et qui se poursuit au cours de l'époque laténienne), sans qu'il soit - à notre connaissance - possible de déterminer qui des "Grecs", des "Romains" ou des "Celtes" aient été les premiers à l'utiliser (pour peu que ce genre de débat soit encore pertinent !). Le linothorax est l'ancêtre du gilet pare-balles, peu coûteux à la réalisation (dans l'Antiquité comme de nos jours), très efficace... et pouvant faire l'objet de nombreuses décorations, comme les broderies !
Il s'agit bien entendu de suppositions, contestables, dont l'auteur de ce texte et co-auteur de la fabrication dudit objet a naturellement conscience. Nous sommes là sur les sentiers de l'évocation, basée sur des réflexions scientifiques.
Après un nombre incalculable de péripéties, et surtout 2 ans et demi de travail (depuis novembre 2012 pour la réalisation), soit plus de 270 heures de boulot... voici le linothorax brodé, réalisé par Acuadulla et Vogiantios.
Notre linothorax est composé de dix couches de tissu de lin. Ces couches sont collées ensemble par une colle à la caséine (lait, blanc de Meudon, vinaigre). C'est très solide. Il n'est pas possible de placer ce linothorax à plat, car la colle le rigidifie trop. Aucune articulation non encollée ou en cuir n'a été utilisée. Pour se donner une idée (même si les essais ont été réalisés sur des échantillons, pas sur la pièce terminée...!) : une épée aiguisée ne passe pas... elle rebondit même sur la cuirasse. Une lance, pas davantage ; le coup est arrêté. Une flèche, c'est déjà plus délicat ; elle pourra éventuellement passer si elle est très fine. Et dire que certains linothorax grecs pouvaient être composés de 30 couches...
Le tissu est donc de lin, coloré de teintures végétales diverses obtenues avec différents mordants (alun, vinaigre, sulfate de fer...).
Les broderies sont toutes en fils de laine, avec diverses teintures végétales (garance, indigo, sureau, bouleau, etc.). Nous avons tenté de créer un effet d'hypnose, totalement arlequin, avec une tripotée de coloris. Cela fonctionne : lorsque la dernière couche séchait au soleil, le linothorax était butiné par des abeilles, en mars... Grandiose !
Galon aux plaquettes ornant le pourtour inférieur du linothorax... d'après la découverte de Hochdorf (Allemagne).
Les épaulières, brodées d'après des motifs de Tapolca (Hongrie) et de Bölcske-Madocsahegy (Hongrie).
Les épaulières présentent des motifs présents sur différents fourreaux d'épées de La Tène C1, de Tapolca (Hongrie) et de Bölcske-Madocsahegy (Hongrie). La paire de dragons affrontés avec svastikas du plastron est issue d'un fourreau de La Tène (Suisse), daté de la même période. Ces motifs ne sont pas exactement datés de la même période et proviennent de zones géographiques différentes. Nous en avons conscience. Le galon sur le pourtour, réalisé par Borglinde (elle a aussi mis beaucoup d'énergie dans ce travail, qu'elle en soit ici vivement remerciée ! http://echoppedeborglinde.fr/) d'après un original de Hochdorf (Allemagne), certes plus ancien, mais parmi les rares galons à nous être parvenu.
Les lambrequins alternent les tissus du buste et des épaulières. Le tout est maintenu grâce à des lanières de cuir tanné végétal (mais était-ce réellement utilisé ?), orné de phalères en alliage cuivreux.
Les photos sont faites en coup de vent et ne sont pas très belles. Je n'ai toutefois pas résisté à l'envie d'y glisser d'ores et déjà deux lances, pour placer le tout sur le portant réalisé en chêne et en pin. On obtient ainsi un véritable trophée antique...
Addendum :
Bien entendu, cette création est à but culturel et historique. La présence de svastikas, symbole riche, universel, intemporel, n'est pas à confondre avec la Hakenkreuz / croix gammée du N.S.D.A.P. / IIIe Reich. Ce motif, bien présent chez les Celtes anciens, remonte au Néolithique, et ne saurait se limiter aux années de fanatisme qui ont ravagé l'Europe au XXe s.
Nous rappelons par ailleurs que Cerda - Artisanat est un groupe apolitique et non religieux : nous n'évoquons jamais ces questions et nous limitons à la reconstitution (proto)historique.